Réflexion sur l’originalité, le plagiat et le recyclage

Préface:: Récemment, j’ai réfléchis à des trucs à propos de l’art et de ses frontières. Et aussi à propos du plagiat et de l’inspiration. Ça a sorti un peu tout croche mais vous pouvez voir un apperçu de mes réflexions et conversations ci-dessous.

Ça a commencé avec des discussions que j’ai eu avec des amis de Kyowa Québec. Ou plutôt des chicanes… Voyez vous, quand on tente de faire un magazine de BD entièrement original et dépourvu de fan-art, la question du plagiat apparaît rapidement. Jusqu’à quel point est-ce qu’on peut s’inspirer d’une autre oeuvre pour faire une oeuvre originale? Si on prend un dessin de quelqu’un d’autre comme modèle pour observer une pose difficile à dessiner, et que notre dessin final a donc la même pose que le dessin original, est-ce que c’est du plagiat? Est-ce que la pose d’un personnage est copyright? Je ne pense pas. Ça serait un peu tiré par les cheveux. Ça n’aurait pas de sens. En tout cas, selon moi, il y a certains éléments qu’on peut copier sans que ce soit du plagiat.
Josiane est particulièrement parano à l’idée d’accepter un dessin d’un artiste et d’apprendre par la suite que c’est en fait du fan-art ou du plagiat. Et j’avoue que c’est une inquiétude qu’il est bon d’avoir quand on est à la tête d’une maison d’édition. Le plagiat, c’est pas cool! Si on prend une oeuvre de quelqu’un et qu’on la copie sur un t-shirt ou sur un poster pour en vendre plein, là j’avoue que c’est vraiment pas cool. Et c’est pour ça que les lois sur le copyright existent. De même, je ne suis pas particulièrement à l’aise avec l’idée de vendre du fan-art. Parce qu’après tout, c’est de la copie d’une oeuvre déjà existante. On reprend un personnage et une histoire célèbre et on utilise cette popularité pour vendre. Le dessin en tant que tel a beau être original, le personnage et son bagage ne l’est pas. Et prendre l’oeuvre de quelqu’un d’autre pour se faire du cash avec, c’est vraiment moche.
Par contre, si on s’inspire d’une oeuvre pour en faire une autre, je ne vois pas trop le problème. Évidemment, il y a un degré de nuance à respecter. Il y a une différence entre être un artiste médiocre qui s’inspire tellement d’un personnage qu’il en vient à le copier et un artiste qui s’inspire d’un personnage pour en faire un nouveau. Idéalement, quand tu es un artiste, tu veux que ton travail soit original. Si tu fais juste copier, ce n’est plus original et, selon moi, tu perds tes lettres de noblesse. Tu n’es pas un très bon artiste. Une oeuvre doit avoir un aspect de création, de nouveauté. Quand tu fais un bonhomme manga comme il y a eu des centaines de bonhommes manga dans des postures similaires et avec un costume similaire, où est la nouveauté? Même si c’est pas du plagiat ni même du fan art, c’est pas original quand même.
Mais qu’en est-il d’un style? Peut-on parler de copie quand on parle de faire un dessin dans un style déjà existant? Si je fais un dessin dans le style de Naruto, est-ce que c’est du plagiat? Si je dessine dans le style de Picasso, est-ce que c’est du plagiat? Et qu’en est-il des grands courants de peinture? Quand le courant expressionnisme a été « inventé » et qu’il a par la suite été repris par des grands peintre comme Van Gogh, Munch ou Matisse, est-ce que c’était de la copie? Bien sûr que non. Quand tu es un vrai artiste, tu prend un médium et un format déjà existant et tu tente de faire quelque chose de nouveau avec. C’est le point clé je pense : faire du nouveau avec du vieux.
Le problème, c’est qu’avec l’avènement du numérique, tout a changé. On arrive à faire des copies parfaitement identique, sans perte de qualité. Comme quand on copie un fichier de musique, la copie n’est pas moins bonne que l’original : la qualité sonore reste identique. Les artistes des années 80 et 90, lorsque la copie vidéo est arrivée, se sont rendu compte de ce phénomène et ont tenté de faire quelque chose de nouveau, d’original, à partir du principe de la « copie ». C’est ce qui a donné les oeuvres du courant post-modernisme, où les artistes font du recyclage de d’autres oeuvres.

Certain vont prendre une oeuvre existante et la modifier. Je pense notamment au gars qui a ajouté une moustache sur une copie de la Joconde. Ou alors, je pense aux artistes qui font des belles images à partir de collage. Ils prennent plein d’images et n’en gardent que certaines parties pour faire une nouvelle image. C’est sûr que dans ce cas, c’est une forme de copie. Mais c’est aussi une oeuvre originale. Même chose pour les films de collage dont j’ai parlé précédemment dans ce blogue. Le réalisateur ramasse des bouts de pellicules trouvés et fait un nouveau film à partir de ça. Quand c’est bien fait, ce type de copie est acceptée et même louangé! Mes profs n’arrêtaient pas de nous parler des films de collage, comme quoi c’était fantastique et innovateur. Et je suis d’accord avec eux. Les films de collages, c’est hot!
L’essentiel, c’est de modifier ce qu’on copie. Si on copie un dessin, on se fait accuser de plagiat. Mais même dans le cas de choses qui ne sont pas vraiment plagiable (je pense par exemple à une idée ou à un scénario), il faut faire attention de ne pas tomber dans le cliché. De la façon dont je vois les choses, c’est deux pièges différents à éviter. On ne peut pas vraiment plagier un scénario mais on peut certainement être cliché si on le fait. On se fait accuser d’avoir créé des personnages qui ne sont que des archétypes de personnages. On se fait accuser que notre histoire ressemble à des histoires classiques sans être originale.
Ça aussi c’est un problème à éviter dans nos publications de Kyowa. Nos artistes ont beau faire des oeuvres originales, avec des personnages originaux et dans des dessins originaux, il n’en reste pas moins que les histoires tombent souvent dans le cliché. Les artistes reprennent les recettes faciles des histoires populaires en manga. Le concept du jeune élu dont tout le monde parle parce qu’il semble être celui qui réalisera des grandes choses. Il y a des millions des films et d’histoires qui reprennent cette recette. La Matrice était un film intéressant à l’époque, même si la recette de l’élu y était répétée pour la millième fois. Même chose pour Harry Potter. C’est un sorcier de qui ont attend de grandes choses. Est-ce que ça empêche la Matrice ou Harry Potter d’être des bonnes histoires? Non, pas nécessairement. Pourquoi alors, si la prémisse de l’histoire est clichée, le film ne l’est pas?
Et bien, comme pour toute chose clichée, il y a une mince ligne. Cette ligne trace la limite entre le cliché et le « bon ». D’un côté, l’histoire est captivante. De l’autre, elle est ennuyante. Parfois, des artistes viennent me voir pour me montrer leur scénario et ils me disent: « je sais, mon histoire est clichée ». Ce que je leur répond c’est que, dans le fond, toutes les histoires sont clichées. Ce n’est souvent qu’un petit détail qui fait basculer de l’autre côté de la mince ligne frontalière du cliché. Dans Harry Potter, c’était le suspense. C’était cliché mais c’était tellement bien écrit et bien construit qu’on était incapable de lâcher le livre. Dans la Matrice, c’était les scènes d’actions qui étaient originale, en plus de l’idée d’intégré la philosophie et le doute de la vérité.
Mais même ça, on pourrait dire que c’est cliché, non? La philosophie de la Matrice, c’était un remâchage de Descartes, Nietzsche et Platon. Pas très original quand on y pense. Et bien non. C’est triste mais c’est la vérité. C’est impossible d’être entièrement original.
Et ça, c’est un point que je vais vous expliquer dans un autre billet parce que celui-ci commence à être vraiment long! J’espère que c’était quand même un peu clair…

14 réponses à “Réflexion sur l’originalité, le plagiat et le recyclage”

  1. Avatar de A.R.
    A.R.

    Oo Je dois dire que c'est incroyablement beau comme réflexion. Les Place des Artistes dans n'importe quelles conventions regorgent de fanarts et peu d'artistes osent vendre des originaux car cela pourrait rapporter moins que les fanarts. C'est vraiment triste mais le monde d'aujourd'hui est malheureusement axé sur le matérialisme. Mais en même temps, beaucoup de gens n'y réfléchissent pas et achètent quand même des fanarts pour encourager les artistes.

    Bref, je crois que les artistes préfèrent vendre des fanarts en étant certains que cela se vend que des originaux qui pourraient ne pas se vendre. C'est un peu basé sur un certain manque de confiance en soi, non?

    Le cliché est aussi quelque chose dont il est difficile d'éviter. Aujourd'hui, tout est cliché. Le contexte de l'élu qui sauve le monde n'est qu'un exemple parmi tant d'autres…

    En tout cas, bonne chance avec ton projet! =3

  2. Avatar de narF

    Merci de tes bons commentaires!

    Un des points qui me dérange beaucoup, c'est le fait que les conventions vont souvent charger *plus cher* pour les artistes qui font des oeuvres originales. Otakuthon a faillit empêcher Kyowa d'être dans l'allée des artistes et l'envoyer plutôt dans l'allée des artisants, où les tables coûte le double du prix! C'est du favoritisme pour le fanart! Ça encourage le fanart et ça me dérange beaucoup.

    Plutôt, ils devraient faire l'inverse. Ils devraient faire payer les tables plus cher pour ceux qui font du fanart. Ça encouragerait les gens à produire et vendre des oeuvres originales à la place. En fait, c'est le même principe qu'une taxe sur les biens de luxe comme l'essence et les cigarettes. Si tu veux vendre du fanart, c'est correct mais ça va te couter plut cher. Les artistes vont donc y penser à deux fois.

  3. Avatar de Math B

    C'est carrément illégal de vendre du fanart. Les gens le font dans les conventions, mais les gens qui ont les droits d'auteur au Canada pour le truc en question (genre Nintendo of America ou Square Enix) seraient absolument en droit d'arriver dans l'artist alley d'Otakuthon et de réclamer tous les profits réalisés aux dépens de leurs oeuvres et de saisir toutes les oeuvres qui plagient les leurs, et possiblement d'en tenir l'organisation comme responsable. Les gens qui s'occupent des allées d'artistes et autres à Otakuthon sont aveugles à ce fait parce qu'en pratique, ça n'arrive pas. En réalité, ils devraient empêcher les gens de vendre du fanart parce que c'est illégal, mais aussi immoral!

    Le concept du droit d'auteur part du principe que l'artiste conserve des droits sur son oeuvre en échange de quoi il se doit de la partager avec le monde. Quand il est temps de faire valoir les droits de l'artiste, par contre, c'est là où le principe est bafoué. Je suis d'accord que Picasso n'a pas les droits entiers sur le cubisme et que ceux qui ont fait Naruto n'ont pas l'exclusivité des ninjas, mais par contre ils ont l'exclusivité sur Naruto le personnage.

  4. Avatar de narF

    J'aime beaucoup ton commentaire, Math, parce qu'en fait, je ne suis pas particulièrement au courant des règlements en matière de copyright, à part que, quand une personne fait quelque chose, il a un droit entier sur sa création et sa reproduction. Merci de l'éclairement. J'avais vu des vidéos à ce sujet sur le site de Creative Commons (http://creativecommons.org) mais c'est à peu prêt tout ce que je sais sur la question…

    Dans les faits, j'imagine que les compagnies qui détiennent les droits sont tolérantes parce que ça leur fait de la pub gratuite. Le fait qu'il y ait des millions d'images de Naruto dans les allés des artistes ne fait que renforcer l'image de marque de Naruto. Et donc, j'imagine que la compagnie qui détient les droits de Naruto est très heureuse de ça.

  5. Avatar de P.R.
    P.R.

    c'était un peu trop long donc j'ai pas tout lu, mais je ne crois aucunement qu'être inspiré à n'importe quel niveau par l'oeuvre de quelqu'un d'autre devrait être sanctionné ou nommé plagiat etc. Si t'as utilisé quelquechose que quelqu'un a fait et que ça plait à certaines personnes ou que ça plait plus que la chose originale, ya aucun mal à ça, non? Le but de l'art, c'est de plaire ou de ce plaire.

  6. Avatar de narF

    En effet, mais il faut que ça reste de l'inspiration. S'inspirer de quelque chose pour faire quelque chose d'autre, c'est bien. C'est même absolument nécessaire.

    Par contre, si tu fais juste une copie à la main d'un dessin existant, ben c'est comme du décalcage. Ça n'a aucun intérêt. À la limite, c'est quasiment du plagiat. L'important, comme je dis vers la fin, c'est de transformer ta source qui t'inspire ou qui te sert de matériel de base. Sinon, ton oeuvre n'a pas un très grand intérêt selon moi.

  7. Avatar de P.R.
    P.R.

    Bien le décalage peut avoir un intérêt personnel. Tu n'utilises pas le même crayon, la même main, le même trait. Puis même des reproduction d'oeuvres c'est bien, mais là on s'en va dans autre choses, haha.

  8. Avatar de Math B

    J'imagine plutôt que la compagnie à laquelle appartient Naruto considère que ça coûterait plus cher de procédures légales, d'avocats et d'huissiers que ce qu'elle se ferait en saisissant le fanart et les profits faits de celui-ci dans les conventions. Si quelqu'un peut vendre du fanart de quelque chose, c'est que l'image de la chose en question n'a plus beaucoup besoin d'être renforcée. Finalement, c'est juste plus gentil de laisser faire ça, parce que comme les autres compagnies le font pas, ils auraient l'air méchant… alors qu'en réalité ils ne font que faire valoir leur droit!

    Par contre, cela n'empêche personne de faire du fanart. Si ça te chante, tu peux dessiner Naruto avec des seins qui lance des lasers par les yeux. À partir du moment où tu te fais de l'argent avec ça, tu profites de la franchise, de l'oeuvre de quelqu'un d'autre, pour te faire de l'argent sur leur dos, et ça c'est pas correct. Même si lesdites entreprises ont plein d'argent, voler reste voler.

  9. Avatar de Monsieur B.

    Sujet très intéressant et très inspirant! 🙂

    Il est difficile (pour l'orgueil) de réaliser qu'à un certain point, on tire toutes nos idées de quelque part : notre culture, notre langue, les médias, notre vécu personnel, nos valeurs, notre éducation, les oeuvres que l'on a vues et lues, etc.

    Bref, un artiste de talentueux, c'est quelqu'un qui réussit à prendre des éléments un peu partout sans que personne (ou peu de gens, difficilement) soient capables de retracer d'où vient son "inspiration" et tout cela, de façon que l'oeuvre produite soit crédible et que tous les éléments aillent bien ensemble. Idéalement, cet artiste ne fait même pas ce travail (qui consiste à puiser dans ce qu'il a vu) consciemment!

  10. Avatar de narF

    @Monsieur B
    On parle même pas seulement d'être retraçable. Parce que faire une copie de quelque chose de très obscure et que personne connaît, c'est quand même une copie. Et y'a toujours quelqu'un qui va finir par s'en rendre compte. Je sais que c'est pas de ça que tu parlais mais ça m'a fait penser.

    Quand tu fais une oeuvre, le but c'est de redigérer ton inspiration. Faire différent mais "dans le style de".

  11. Avatar de G.S.
    G.S.

    Plusieurs des concertos de Johann Sebastian Bach, sans doute un des plus grands génies de tous les temps, étaient copiés de ceux de Vivaldi et "retravaillés". On n'a jamais considéré que c'était du plagiat.

  12. Avatar de narF

    C'est sûr que quand tu t'appelles Bach, tu te fais pas beaucoup accusé de plagiat. D'ailleurs est-ce que le concept de plagiat existait déjà à cette époque?

  13. Avatar de Math B

    Juste parce que personne ne considère que c'est du plagiat, ça veut pas dire que ça l'est pas…

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