La tristesse d’un déphasage

J’ai écouté l’autre jour une musique vraiment triste. C’était une composition de Philip Glass joué par la violoniste Angèle Dubeau. À un certain moment, la musique s’est dépouillée et ralentie pour ne devenir qu’un long accord de violons. Plusieurs violons qui jouaient des notes longues pour former des accords mineurs. Je ne sais pas combien de violons exactement. Je dirais peut-être 5. Chacun jouait sa note longue. Sauf que l’idée, c’était de faire changer de note un seul des violons pour lui faire jouer une note différentes et former un nouvel accord. Mais ce nouvel accord était vraiment triste par rapport aux précédents. Et ensuite, le violon changeait encore de note pour former encore un nouvel accord encore plus triste.

Ce violon là était le seul à changer de note. Les autres continuaient à jouer comme si de rien était. On a donc un groupe de 5 violons qui jouent à l’unisson, mais un de ces violons n’est pas en phase avec le reste de groupe. Il change de note. Il ne fait que baisser d’un demi-ton et soudainement, l’accord du groupe est complètement changé, l’atmosphère devient triste. Et les autres violons n’ont pas l’air de le remarquer du tout.

Cet individu, parce qu’il est différent du groupe et qu’il joue quelque chose de différent de ce que les autres s’attendent, arrive à changer l’ambiance de la pièce musicale, du moins pour l’auditeur. Seul l’auditeur a l’air de remarquer que l’accord est changé puisque les autres violons continuent à jouer comme si de rien était. Ce violon là doit se sentir bien seul et bien différent des autres. Il pourrait choisir de revenir à l’union du groupe et continuer de jouer sa note initiale comme si de rien n’était mais il se sent différent et n’arrive pas à connecter avec le reste du groupe alors il change de note. Et seul un point de vue externe, celui de l’auditeur, arrive à s’en rendre compte.

Pour rendre ça plus concret, on pourrait imaginer une conversation de 5 personnes. Chacun discute et tout va bien. Mais viens un moment où une des personnes se rend compte qu’elle est déconnectée par rapport aux autres parce qu’elle se sent différente. Soudainement, elle prend de la distance. Tout lui semble insignifiant. Alors elle «change de note» comme le violon: elle se tait. Elle devient silencieuse, distraite ou rêveuse. Elle pense à autre chose, à comment elle se sent différente du groupe. Et les autres ne s’en rendent pas compte. Ils ne se rendent compte de rien et c’est ça qui est super triste. Si on imagine que cette scène serait filmée au cinéma, seul le spectateur pourrait remarquer que cette personne s’est tue (à condition bien sûr que la mise en scène nous le montre). Nous, en tant que spectateur qui assistent à cette scène, on est triste pour cette personne qui se sent différentes des autres, mais les autres personnages qui continuent de parler ne se rendent compte de rien.

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Je suis en train de lire un livre de fourmis (Le jour des fourmis, de Bernard Werber). Il s’agit d’un livre de fiction où certains personnages sont des fourmis dans une fourmilière. Un peu comme dans le film Antz (Fourmiz) ou Bug’s Life (Vie de Bestioles). À un moment, l’auteur décrit une sorte de maladie des fourmis. Il explique que les fourmis vivent habituellement en syncronisme avec les autres, avec la colonie. Le principe de l’individualité n’existe pas. Sauf que parfois, certaines fourmis sont atteintes d’un mal de vivre. Elle se sente différentes des autres fourmis. Elles se poses des questions sur leur raison de vivre. Un peu comme le spleen de Baudelaire. Parfois, c’est aussi simple que de se poser la question «est-ce que j’ai été atteinte par ce mal de vivre ou je suis encore saine d’esprit?». Ce qui est ironique, c’est qu’habituellement, juste le fait de se poser cette question est signe qu’on est déjà atteint. Sinon, les fourmis qui sont encore en harmonie avec le groupe n’ont même pas l’idée de se poser cette question.

Je trouve ça intéressant ce décalage qui existe entre les groupes et les individus qui le compose. Dans tout les cas, le groupe ne s’en rend pas compte. Il y a seulement deux personnes qui réalise qu’il y a un décalage : la personne concernée et le spectateur externe. Dans la musique de Philip Glass dont je parlais au début, tous les violons jouent ensemble pour former un accord mais un des individus se sent différents, joue une note différente et rend l’accord très triste (pour l’auditeur), sans que les autres violons ne modifient leur comportement. Dans mon exemple de scène de film, ça prend une mise en scène particulière pour que le spectateur le remarque. Et dans Le jour des fourmis, c’est l’auteur qui en parle (un narrateur externe et omniscient) parce que les autres fourmis de la fourmilière ne s’en rendent pas compte du tout.

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En fait, si je raconte tout ça, c’est parce que parfois je me sens un peu comme ça. Je suis en groupe mais je me sens un peu décalé pour une raison quelconque. Alors je deviens silencieux et je fais juste écouter les autres parler. En fait, j’aime vraiment écouter les autres parler, c’est moins forçant et je n’ai pas à chercher quelque chose à dire. Sauf que c’est peut-être un peu triste, surtout quand on fini par se faire ignorer à cause de ça, même si on est quand même correct avec l’idée d’être ignoré. Après tout, si on ne veut pas parler, c’est donc qu’on veut être ignoré d’une certaine façon. Mais au fond de nous même, on se dit qu’on aimerait bien que quelqu’un le remarque et vienne nous parler.

Sauf que c’est vraiment pas brillant comme façon de faire! C’est même carrément paradoxal! Se faire remarquer en devenant silencieux, en s’effaçant du groupe. Quelle illogisme! Genre: «Hey, regardez-moi, je suis devenu silencieux et mélancolique. Venez m’aider!» Sauf que c’est vraiment pas brillant! Se taire pendant une conversation de groupe et espérer se faire remarquer ainsi, c’est pas logique. Normalement, les gens vont juste continuer à parler avec les gens qui veulent bien parler.

TK, je suis content d’avoir fait cette réflexion. Ça vient de me convaincre qu’il faut que j’arrête de faire ça. Je vais essayer de me resynchroniser avec les autres fourmis et les autres violons.


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3 réponses à “La tristesse d’un déphasage”

  1. Avatar de Monsieur B.

    Ce qu'il y a d'ironique, c'est que chaque personne est un individu à part entière. C'est faux de dire que les autres sont des fourmies sauf soi-même (et quelques exceptions). J'aime beaucoup Bernard Werber (j'ai lu presque tous ses livres), mais c'est un cynique un peu pessimiste!

    En réalité, plusieurs personnes sont comme nous, mais elles se pensent si seules et uniques qu'elles ne remarquent pas que les autres, dans le fond, sont comme elles! 😀

  2. Avatar de narF

    Ouais! C'est tellement vrai ça. On est tous semblable même si on aime bien se faire accroire qu'on est différent. C'est ce que je pensais aussi mais que je n'ai peut-être pas réussi à bien expliquer.

    Exemple, on se dit "oh, je suis gêné, j'ai de la misère à approcher les gens". Mais dans le fond, y'a ben plus de gens comme gêné qu'on le pense. Mais on essaye tous de s'arranger pour que ça ne paraisse pas trop. On a tous nos petites manies, nos petits travers, nos difficultés à communiqué, mais on doit tous cacher ça pour pouvoir vivre correctement en société.

  3. Avatar de Miss Executive

    WoW~! Je ne savais pas qui était ce Philip Glass jusqu'à ce que je lis ton blog XP Le violon est mon instrument de musique préféré, on l'entend souvent dans des scènes d'anime tragique ;O Bahhh, moi j'adore ça~!! lol ça fait longtemps qu'on ne s'est pas parlé, merci d'avoir laissé un commentaire sur mon blog, je vais te mettre dans mes blog buddies toute suite!! X3

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