Faire Campagne (recommandation lecture)

Je viens de finir Faire Campagne, une bande-dessinée qui m’a été recommandé dans une liste de BD qui parlent de la transition socio-écologique. Voici ce que j’en ai pensé!

  • Faire Campagne : Joies et désillusions du renouveau agricole au Québec
  • Rémy Bourdillon, Pierre-Yves Cezard
  • 2018
  • coproduction Atelier 10 et La Pastèque
  • Le trouver dans votre librairie locale

Le monde rural est en plein essor au Québec. Une nouvelle génération d’agriculteurs tente de développer de meilleures manières de produire nos aliments. Grâce à ces jeunes familles qui délaissent la ville pour la campagne, des fruits et légumes oubliés, des fromages locaux, des viandes et charcuteries diversifiées fleurissent. Mais comment survivre dans un système taillé pour l’agriculture industrielle? Comment garder espoir malgré l’intransigeance des règles?

Comme livre, on a affaire ici à un format peu courant: un reportage journalistique en format bande-dessinée. C’est un format que j’ai trouvé bien intéressant qui permet d’aller très en profondeur sur le sujet, contrairement aux reportages dans les médias traditionnels (télé, journaux). Mais ça a aussi l’avantage d’être facile et agréable à lire, puisque c’est beaucoup moins dense que si ça avait été un livre avec juste du texte.

Et le côté graphique permet aussi de mettre en image des idées qui étirent la réalité, comme ces deux inspecteur de l’ÉVQ (Éleveurs du Volaille du Québec) en costume-cravate et tête de poulet.

Le reportage couvre large et profond. Le journaliste a pris le temps d’aller rencontrer plusieurs producteurs agricoles, d’aller visiter leurs ferme, sur une longue période de temps. On fait donc la visite des lieux avec lui grace aux illustrations. On apprend c’est quoi les enjeux, qui sont les actants. Il y a une grande diversité de points de vu et d’opinions: un éleveurs qui revendique le droit d’élever plus que 100 poulets; une familles qui peinent à arriver financièrement; les coopératives d’agriculteurs qui se mettent ensemble pour partager des ressources ou se battre pour faire changer les vieilles lois qui favorisent les méga-fermes; et plusieurs autres!

Le livre se concentre surtout sur l’élevage de poulet, de porcs, de vaches laitières et d’agneaux, mais couvre aussi la culture de céréales, le sirop d’érable, les oies, les canards, etc. Ça couvre surtout le Québec, mais le journaliste fait aussi une visite au Nouveau Brunswick pour comparer les réglementations. Il parle aussi de l’impact des marchés internationaux. Un des points clés étant que c’est un peu ridicule qu’on ne soit plus nourris par nos propres fermiers, puisque chaque pays produit principalement pour exporter.

J’ai appris plein de choses en lisant le livre. La situation au Québec est unique par rapport au reste du monde, mais pas toujours pour des bonnes raisons. Il y a plein de problèmes qu’on va devoir démêler en tant que société si on veut pouvoir manger à prix raisonnable des aliments de qualité.

Aller plus loin

Le livre ne couvrait malheureusement pas certains autres problèmes que je trouve importants. En particulier: il ne remet pas en question le modèle de propriété et d’entrepreneurs. Les fermes sont presque toutes des entreprises privées, les grandes comme les petites. Les terrains font l’objet de beaucoup de spéculation lorsqu’ils sont vendu d’un propriétaire privé à un autre propriétaire privé. Ce système n’est pas remis en question ni même discuté dans le livre. Sachant que le gouvernement investis des millions en subventions avec notre argent et que tout ça va dans la poche de compagnies privées (les méga-fermes et les fournisseurs), ça aurait mérité d’être mentionné.

Personnellement, je suis d’avis que la terre ne devrait appartenir à personne. La terre, les infrastructures et les installations agricoles devraient appartenir à la société, à tout le monde. Si le modèle n’est profitable qu’avec beaucoup d’investissement d’argent public, alors peut-être que les fermes devraient appartenir au public, comme le sont les rues ou les hôpitaux.

Le livre ne parle pas vraiment non plus des conditions de travail. Les travailleur·euses agricoles mériteraient des meilleurs salaires et conditions de travail, puisque c’est un métier très dur physiquement. On sait que beaucoup de fermes, surtout les grosses, ne sont rentables que parce que leur main d’oeuvre est constituée d’immigrants temporaires qui vivent dans des conditions ultra-contrôlées et surveillés. Le documentaire Essentiels, disponible gratuitement sur Télé-Québec, le montre: les conditions de vie de ces personnes s’apparentent à de l’esclavage. Et ça, le livre n’en parle pas du tout. À cause de ça, le livre laisse l’impression de se porter uniquement à la défense des entrepreneurs et des propriétaires. Je ne doute pas que la vie soit très difficile pour les petits agriculteurs, mais leur condition de vie sont un choix personnel plutôt qu’une obligation causée par la précarité.

Bref, le livre ne nomme pas l’éléphant dans la pièce: le capitalisme. La domination d’une minorité de personne qui ont du pouvoir sur tous les autres. Et ça c’est bien dommage. Ça passe à côté de la racine du problème.

Cela étant dit, je pense qu’il mérite quand même d’être lu. C’est important de voir toute la complexité qui existe dans l’agro-industrie et qu’on devra démêler un jour si on veut passer à une société écosocialiste. Il faudra réfléchir collectivement, en rassemblant les consommateurs, les agriculteur·ices, les travailleurs, les voisin·es et les expert·es scientifiques en biologie et permaculture. Il faudra se parler, discuter, trouver des solutions. On pourra s’inspirer d’autres pays comme Cuba, le Vietnam ou l’Inde qui ont déjà mené ces luttes et eu ces discussions.

Parce qu’on veut une agriculture qui serait plus équitable et qui assurerait la survie de tout le monde, pas juste les gens aisés financièrement!


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